
Opération Aphrodite
Gérard Manset nous offre un nouvel album !
Ho joie ! 🙂
Je l’attendais depuis des années. Après nous avoir sorti des compilations, des « trucs » bizarre comme « Un oiseau s’est posé » je me suis dis yes ! Le voilà cet album que tous les fans attendent !!
Haaaa ! pourquoi l’ai-je écouté ???? 😥
Je suis tombé de haut sur le dos ! Cruel que vous êtes monsieur Manset …
Où est votre poésie, pas ici ! Votre aptitude à nous faire pleurer, rêver, voyager…. ???
Pas dans cet album fait de gomme… On vous sent fatigué, las, hélas… 🙁
Ma déception me rend sans voix et j’en perds la voie…
Je me suis consolé en écoutant celui de Christophe, Les vestiges du Chaos, qui lui, est magnifique et que je vous conseille fortement.
Je laisse la parole à un certain Johan qui s’est fendu d’un commentaire qui est celui que j’aurai aimé écrire. (Sur Amazon) Comme un « égo »…
Johan le 5 avril 2016
Certains artistes peuvent être trompés par leur vanité, une vanité nourrie par leur propre talent et exacerbée par les louanges unanimes et ils en viennent alors parfois à se croire infailliblement géniaux. Les symptômes de cette inflation de l’ego, on les sentait dans les récentes interviews et productions de Manset : disques sans intérêt de reprises en forme d’auto célébration (« Un oiseau s’est posé ») et propos mégalomanes tenus sans rire dans la presse et la radio.
Manset a souvent entretenu avec la chanson un rapport ambivalent : méprisant pour cet art mineur et pourtant conscient de sa valeur (valeur qui est incontestable) en regard de la médiocrité de 95% de la chanson française actuelle et parfois passée. Mais « les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre » et en l’occurrence c’est une déesse, Vénus/Aphrodite, qui s’en est chargé.
Le disque débute d’ailleurs par une brève séquence d’auto citation : des notes semblant empruntées à « La Mort d’Orion » ouvrent les mesures de ce qu’on espère être le digne successeur de l’oratorio de 1970.
Hélas on déchante vite : cet opus là n’a rien à voir avec le chef-d’œuvre bancal mais fascinant du jeune Manset d’alors. Manset a désormais 70 ans et il n’était pas raisonnable d’espérer de lui l’équivalent d’un disque qui ne fut jamais égalé par le troubadour taciturne, sauf peut-être, par l’étrange « Long Long Chemin » de 1972 quoi que sur un mode différent.
En effet, ce qui frappe à l’écoute de cet essai de concept-album vaguement ordonné autour du bouquin de Pierre Louÿs, c’est, contrairement à ces deux albums des années 70, son absence d’unité. Bien sûr « Orion » et « Long Chemin », relevaient eux aussi de l’esbroufe (comme souvent dans les albums de Manset) c’est-à-dire frisaient parfois le ridicule : rimes « hyper riches » de collégien attardé et arrangements pompiers; mais ces albums avaient une cohérence malgré leurs défauts.
L’esbroufe qu’on pouvait y déceler était transcendée par la mystérieuse « magie Manset », une magie due essentiellement à l’originalité et la qualité des compos et à la tessiture vocale envoûtante de ce chanteur sans pareil.
Avec cette « Opération Aphrodite » (titre tiré d’un roman de Jimmy Guieu) Manset n’est pas parvenu à unir les éléments disparates qui le composent, à savoir : le bouquin érotico soft de Louÿs, l’univers S-F de Brantonne et ses chansons. A priori on ne voit pas bien quel rapport entretiennent ces trois composants et à la fin du disque on n’est pas plus avancé. La « magie Manset » n’a pas fonctionné.
Manset à peut-être tenté au forceps d’unifier ces choses éparses mais n’y est pas parvenu ou n’a peut-être même pas vraiment essayé, son égo lui ayant fait considérer tout ce qu’il produit comme grandiose : il avait d’ailleurs, avant sa sortie, à peu-près parlé de cet album-concept comme d’une chose qui étonnerait le public…D’où vient que cet album ne tient pas la route ?
D’abord les passages lus des extraits du livre de Louÿs n’arrivent pas à s’insérer dans l’ensemble; la faute surtout à la diction de la jeune comédienne (Chloé Stéfani) choisie par Manset. Disons-le tout net : les lectures de cette comédienne sont d’une atroce platitude et plombent le disque. Manset, dans ses lectures, lit beaucoup mieux, et sa voix parlée ne manque pas de charme ; il aurait du lire lui-même tous les textes du livret.
De plus les illustrations musicales de ces passages lus sont d’un kitsch incroyable (synthé, ou luth et flûte) ; on a l’impression d’écouter des extraits d’une banale émission de France Culture. Ils sonnent comme des interludes incongrus et lorsqu’ils sont intégrés à une chanson (« Divinités« ) ça ne fonctionne pas mieux. Ces passages lus (surtout ceux récités par Chloé Stéfani) paraissent étrangers au reste de l’œuvre qui sont les chansons.
Et là, les choses ne vont pas bien non plus, car (et on souffre de le dire) les chansons de Manset ne sont pas très bonnes. Le premier morceau sonne comme une resucée d’une séquence saccadée de « Matrice », la sublime chanson finale de l’album du même nom de 1989. Sauf que cette chanson d’ouverture est loin d’être du même niveau. A part à la rigueur « Le lys dans la vallée » et « Que t’ont-ils fait » qui sonnent comme des chutes moyennes de « Manitoba ne répond plus » et « Landicotal » sorte de blues du désert bien enlevé qui évoque un peu l’univers de Moebius.
Mais rien du niveau de « Vivent les hommes » (à mon avis la plus grande chanson française des années 70) ni des morceaux de « Long chemin »; ici les chansons sont banales, poussives ou caricaturales.
Ce ne sont que compos mid tempo sans relief et rimes forcées de textes débités au rank xerox ; je cite : « L’amour en Océanie/ Ce qu’on voit dans l’eau c’est Annie« , « Les bâtisseurs de pont/Comme une poule pond« …
Je rajoute « Et le mouton qu’on tond« , « Tandis que la verdure« , « Comme les bâtisseurs de pont/ Dans le papier crépon. » (Le râleur)
Et il y en d’autres de ce genre. En entendant ça je me suis une fois encore demandé si Manset était aveuglé par son égo au point de ne pas réaliser l’inanité de ce type de rimailleries ou bien s’il ne se moquait pas sciemment du public : une sorte de cynisme supérieur ou d’humour décalé.
On a même droit a une sorte de long « slam » (« Comme un arbre ses fruits » (il y a souvent beaucoup trop de « comme » anti poétiques au possible dans les textes de Manset) ; ce monologue balancé sur un vague slow frise vraiment le ridicule par sa teneur et son style ; c’est tout de même meilleur que du « Grand Corps Malade » c’est certain mais justement à l’aune de ce que peut faire Manset c’est plutôt gênant.
Le tout n’est pourtant pas inaudible et je décerne sans problème trois étoiles à ce nouveau Manset en dépit de son ratage, car un mauvais Manset sera toujours préférable à la bouillie infâme qu’est devenue une chanson française en pleine décadence. Aussi parce que Manset chante remarquablement bien et c’est le seul point fort du disque; sa voix si particulière à la patine à présent usée est vraiment magnifique.
Bref les maniaques de son œuvre comme moi écouteront ce disque de temps en temps tout de même.
Mais très souvent, sûrement pas.
Tout est dit…